I. La Confidentialité des juristes d’entreprise
En deux mots : en discussion depuis de nombreuses années, cette question de la confidentialité des consultations des juristes d’entreprise est sur le point d’être adoptée en France, non sans débats. La question de la fiscalité est au cœur des débats. |
La confidentialité des juristes d’entreprise est une question qui est soulevée en France depuis plusieurs années déjà. En effet, la France est un des rares pays dans lequel les avis des juristes d’entreprise ne sont pas protégés par le secret professionnel, pourtant les juristes eux-mêmes doivent respecter le secret professionnel.
Après un premier échec de loi en novembre 2023, la loi sur la confidentialité des juristes d’entreprise a été redéposée par le Sénat et est en cours de discussion devant l’Assemblée nationale.
1. LA GENESE DE CETTE LOI
A l’origine de cette loi proférant la confidentialité des juristes d’entreprise, le souci de vouloir se protéger de l’ingérence des Etats-Unis.
En effet, les Etats-Unis ont plusieurs lois dites « extraterritoriales », qui leur permettent de condamner des entreprises sur le sol français, sans pour autant que lesdites entreprises aient eu des transactions sur le sol américain. Elles sont directement condamnées par la justice américaine sur instruction à charge du DOJ (département de la justice).
Les lois britanniques[2] sont également extrêmement sévères et avaient contribué à créer des obligations pour les entreprises concernées.
La France a commencé à se prémunir contre cette ingérence notamment avec sa législation Sapin II[3]. En créant un socle législatif permettant à la France d’imposer des obligations et de les contrôler, cela permet à la France de récupérer sa souveraineté, puisque la convention OCDE de 1997 interdit une double poursuite en cas de compétence concurrente pour les mêmes faits de corruption.[4]
Dans ce contexte, l’un des derniers éléments permettant de protéger les entreprises françaises -notamment de l’espionnage industriel, était cette grande question de la confidentialité des avis des juristes pour une protection supplémentaire.
Tant que les avis ne seront pas confidentiels, les entreprises devront les communiquer en cas d’incrimination par une législation étrangère, la France ne pouvant les protéger. Dans les autres pays européens, les avis des juristes sont protégés, parfois par la création de statut spécifique pour eux. Dans les pays du « Common Law », il n’existe pas de différence entre avocats en cabinet et avocats en entreprise, tous les deux étant protégés par le « Legal Privilege ».
En conséquence, les entreprises peuvent être réticentes à demander des avis écrits de la part de leur service juridique français. Dès lors, dans les grands groupes, ceux-ci seront vigilants à recruter des directeurs juridiques non français ou à délocaliser le service juridique dans un pays dans lequel les écrits sont protégés, ce qui est en contradiction avec la volonté de plein emploi, l’un des objectifs du gouvernement.
Il apparaissait de ce fait nécessaire de légiférer en la matière.
2. UNE PREMIERE TENTATIVE DE LOI
2.1 LE VOTE DE LOI D’ORIENTATION ET DE PROGRAMMATION DU MINISTERE DE LA JUSTICE
C’est au cours des débats sur le vote de cette loi de programmation du ministère de la justice, promulguée le 20 novembre 2023, que les discussions ont eu cours devant le Sénat puis l’Assemblée Nationale.
Le Garde des Sceaux, M. Eric Dupond-Moretti, a publiquement soutenu cette mesure qui doit néanmoins être bien cadrée puisque controversée. Il a indiqué que les juristes d’entreprise se retrouvent aujourd’hui en difficulté pour élaborer des stratégies internes claires. Selon lui, « Ils se trouvent dans une situation très paradoxale, devant mettre en œuvre des obligations de conformité de plus en plus nombreuses et alerter les cadres dirigeants des risques juridiques, sans incriminer leur entreprise. »[5]
Il constatait également que certaines entreprises préfèrent délocaliser leur siège social à l’étranger afin de bénéficier d’une protection que la France n’apporte pas[6].
C’est donc par voie d’amendement que la mesure sera finalement adoptée lors du vote final les 10 et 11 octobre 2023.
2.2 LE CONTENU DE LA DISPOSITION
La loi indiquait ainsi que « Les consultations juridiques rédigées par un juriste d’entreprise ou, à sa demande et sous son contrôle, par un membre de son équipe placé sous son autorité, au profit de son employeur, sont confidentielles. »
Pour être couvert par la confidentialité, le juriste devait remplir les deux conditions suivantes :
- Etre titulaire d’un master en droit, ou d’un diplôme équivalent français ou étranger ;
- Avoir suivi des formations initiales et continues en déontologie.
Les consultations devaient porter la mention « Confidentiel- consultation juridique- juriste d’entreprise » et devaient faire l’objet d’une identification et d’une traçabilité particulière dans les fichiers de l’entreprise. Les documents qui seront couverts par la confidentialité, ne pourront dès lors faire l’objet d’une saisie ou d’une obligation de remise à un tiers (y compris à une autorité administrative étrangère) dans le cadre d’un litige civil, administratif ou commercial. En revanche, la confidentialité ne s’appliquait pas dans les litiges fiscaux ou pénaux.
Le texte prévoyait également des sanctions sur le fait d’indiquer la mention « Confidentiel- consultation juridique – juriste d’entreprise » de façon frauduleuse. Ainsi, cette application frauduleuse pouvait être punie de 3 ans d’emprisonnement et de 45 000€ d’amende.
Cette confidentialité pouvait être levée par le Président de la juridiction à l’origine de l’instruction ou le juge des libertés et de la détention dans les procédures administratives. Il était possible de contester la confidentialité de certains documents voire de lever la confidentialité de certains documents.
Pour ces procédures, l’entreprise devait être accompagnée d’un avocat.
2.3 LA CENSURE DU CONSEIL CONSTITUTIONNEL
Saisi par plus de 60 députés, le Conseil Constitutionnel a été appelé à se prononcer sur cette mesure. Les députés soutenaient que ces dispositions « limiteraient excessivement les pouvoirs de contrôle des autorités de régulation et feraient ainsi obstacle à leur mission, en méconnaissance des objectifs de sauvegarde de l’ordre public économique et de recherche des auteurs d’infractions. »
Le texte sera finalement censuré par le Conseil Constitutionnel dans une décision n°2023-855 DC du 16 novembre 2023 au motif que cet amendement était un cavalier législatif.
3. DANS L’ATTENTE D’UNE ADOPTION PROCHAINE…
Face à cette censure par le Conseil Constitutionnel, le Sénat a déposé une proposition de loi le 17 novembre 2023. Cette proposition a été votée le 14 février dernier. Elle est depuis devant l’Assemblée Nationale qui ne s’est pas encore prononcée.
La loi reprend pour l’essentiel la disposition telle qu’elle avait été adoptée. On note cependant quelques ajouts, comme le fait que les versions successives d’une consultation juridique qui aurait été couverte par la confidentialité, seront également couvertes par la confidentialité.
La confidentialité pourra être levée à tout moment par l’entreprise qui emploie le juriste. Un représentant de l’entreprise pourra également s’opposer la communication ou la saisie d’un document s’il estime la demande incompatible avec le respect de la confidentialité qui lui est attaché.
Cependant, apparaît toujours dans le texte, l’exclusion des procédures fiscales et pénales.
4. L’INTERVIEW DE MAITRE RAPHAEL GAUVAIN
Afin d’avoir un éclairage sur cette question de l’exclusion des procédure fiscales et pénales, nous avons obtenu une interview de Maître Raphaël Gauvain, auteur du rapport remis en juin 2019 « Rétablir la souveraineté de la France et de l’Europe et protéger nos entreprises des lois et mesures à portée extraterritoriale ». | ![]() |
Solenne Desprez Braun : vous êtes actuellement avocat associé chez Stephenson Harwoord, mais c’est en votre qualité d’ancien député fervent défenseur de la confidentialité des juristes d’entreprises que nous avons l’honneur de vous poser nos questions en exclusivité pour notre newsletter fiscale premium.
A la demande d’Edouard Philippe, alors premier ministre, vous avez travaillé pendant six mois afin de remettre un rapport dénommé « Rétablir la souveraineté de la France et de l’Europe et protéger nos entreprises des lois et mesures à portée extraterritoriale ». Pour quelles raisons avez-vous choisi de vous saisir de ce sujet ?
Maître Raphaël Gauvain : le dossier était un peu ancien, il avait commencé lors du précédent mandat, l’Assemblée Nationale s’était déjà interrogée suite aux condamnations de BNP & Alstom par une loi extraterritoriale américaine en matière de lutte contre la corruption (FCPA). En termes de contexte, en 2018, le débat sur les secrets des affaires était également au cœur des priorités. Il était question de renforcer la loi de blocage et plus généralement, ont eu lieu des discussions sur les mesures à portée extraterritoriales.
C’est à cette occasion qu’une mission a été constituée dont l’objectif était d’apporter des solutions contre ces mesures extraterritoriales. Parmi les propositions, celle de la confidentialité des juristes d’entreprise. La mission a fait le constat que lors de procédures civiles, notamment américaines dites « Discovery », les entreprises étrangères avaient accès aux avis des juristes d’entreprises, et s’en servaient dans le cadre de procès.
Le rapport a été déposé en juin 2019. Le gouvernement avait donné son accord pour travailler sur cette problématique qui faisait l’unanimités. Au final, on constate donc que c’est un vieux débat en France : est ce qu’on accorde ou non la possibilité de donner le statut d‘avocat en entreprise, et donc donner la protection aux juristes par l’intermédiaire du secret professionnel.
Solenne Desprez Braun : vous qualifiez au sein de votre rapport l’absence de confidentialité des juristes d’entreprise comme une « lacune » de notre système. Vous étiez favorable au statut d’avocat en entreprise doté de la déontologie de l’avocat. Pourquoi étiez-vous partisan de ce format ?
Maître Raphaël Gauvain : J’étais effectivement favorable à cette option pour une raison d’efficacité : le statut d’avocat en entreprise donne une plus grande protection face à la justice américaine puisque bénéficie de règles et permettait également d’ouvrir la profession d’avocat et de la redynamiser.
Il y’avait derrière une réelle vision politique, mais surtout la nécessité d’ouvrir la profession d’avocat, de de la redynamiser et notamment aux jeunes confrères afin de leur donner la possibilité de pouvoir passer de l’entreprise au libéral, en en facilitant le statut car on constate de nombreux allers retours au sein des deux professions. On favorisait donc la mobilité.
Déjà, début 2020, on avait obtenu un accord entre les différentes parties, et le dépôt d’une proposition de loi en février 2020 – mais du fait du COVID – l’agenda parlementaire a été bousculé, et la proposition a sombré dans l’oubli.
Avec la loi Dupond-Moretti[7] sur le secret professionnel, s’est posée la question de savoir s’il fallait relancer le débat de la confidentialité des juristes d’entreprise, mais compte tenu de la sensibilité et de la proximité des élections, il n’a pas été relancé.
Solenne Desprez Braun : on constate, depuis 2017, de nombreuses tentatives pour amorcer cette modification de notre système judiciaire. Le projet de loi de novembre 2023 prévoyait une protection in rem, attachée à l’acte, et non à la personne, fruit d’un compromis. Surtout, les dispositions fiscales et pénales étaient exclues. Ces exceptions n’étaient pas prévues dans votre rapport. Savez vous pour quelles raisons le projet de loi de l’époque a prévu cela ?
Maître Raphaël Gauvain : ce n’est qu’à l’été 2022, dans le cadre des Etats généraux de la Justice[8] que le débat est revenu. Un équilibre politique a été trouvé : on n’évoquait plus de statut d’avocat en entreprise pour lequel on avait deux opposants traditionnels :
- les avocats et
- l’autorité d’enquête.
Cependant, on conservait l’objectif qui est la protection des avis juridiques des juristes, donc la question du « legal privilege ».
L’année dernière une nouvelle loi Dupond-Moretti a été en discussion au Parlement, puis adoptée. Le statut de legal privilege a été introduit par voie d’amendement et voté par les deux assemblées, mais par suite censuré comme cavalier législatif par le Conseil Constitutionnel[9].
Solenne Desprez Braun : après l’échec de la réforme de 2023, le sujet est de nouveau au cœur des débats. A nouveau, les procédures fiscales et pénales sont exclues. En tant que juriste fiscaliste, on s’étonne de voir une telle exclusion. L’optimisation fiscale constitue une pratique légitime des entreprises. Par ailleurs, on peut trouver des fraudes sociales, comme en matière fiscale, pour autant, la matière sociale n’est pas exclue.
Maître Raphaël Gauvain : lors des Etats généraux de la justice de 2022, il y’a eu beaucoup de discussions et le compromis était de ne plus parler du statut d’avocat en entreprise, mais également d’exclure les procédures pénales et fiscales de la protection pour trouver le bon compromis avec les autorités d’enquête.
Cependant, attention à la confusion : ce ne sont pas les matières qui sont exclues, mais les procédures. Un même document pourra bénéficier de la protection devant une procédure civile ou devant les autorités de la concurrence, mais pas devant une procédure pénale ou fiscale.
C’est un compromis, qui aura un impact assez faible.
C’est un premier pas.
Solenne Desprez Braun : le temps d’une acculturation !
La dissolution de l’Assemblée Nationale modifie-t-elle la donne ?
Maître Raphaël Gauvain : même s’il y a aujourd’hui une dissolution, la loi reste toujours dans le circuit parlementaire. Ce n’est qu’une question de délai supplémentaire avant le vote de la loi. Il faut attendre la constitution de la nouvelle Assemblée, et voir si elle se saisira du sujet.
[1] Rapport de Raphaël Gauvain « Rétablir la souveraineté de la France et de l’Europe et protéger nos entreprises des lois et mesures à portée extraterritoriale »
[2] https://www.gov.uk/anti-bribery-policy
[3] https://www.legifrance.gouv.fr/jorf/id/JORFTEXT000033558528
[4] https://www.oecd.org/fr/corruption/anti-corruption/conventioncontrelacorruption/44779820.pdf – concerne les agents publics, raisonnement par analogie
[5] Séance du 8 juin 2023 (senat.fr)
[6] Compte du rendu de la deuxième séance du lundi 10 juillet 2023 – Assemblée nationale (assemblee-nationale.fr)
[7] loi n° 2021-1729 du 22 décembre 2021 pour la confiance dans l’institution judiciaire
[8] rapport_justice_economique_commerciale .pdf
[9] décision n° 2023-855 DC du 16 novembre 2023
II. Quel avenir pour le CIR, ce dispositif controversé ?
En deux mots : Entre prise de position forte du gouvernement et propositions récurrentes de réformes portées par certaines institutions et/ou certains institutionnels, retrouvez l’analyse de la situation par la direction juridique et fiscale de F.initiatives, dans ce contexte politique particulier. |
Le CIR fait souvent l’objet de critiques dans la presse via des titres « accrocheurs » ayant vocation à mettre en avant le fait que ce dispositif fiscal est un « gouffre financier »[1]. Il fait également régulièrement l’objet d’amendements soit pour le modifier soit carrément pour le supprimer[2]. Il est donc tout à fait légitime de s’interroger sur le futur de ce dispositif.
1. LES PISTES DE REFORME DU CIR EVOQUEES PAR L’ECOSYSTEME
1.1 LES PROPOSITIONS DE LA COUR DES COMPTES
En février 2022, dans le cadre d’un rapport du Conseil des Prélèvements Obligatoires (« CPO »), rattaché à la Cour des comptes[3], le CIR fait l’objet de plusieurs analyses. Le CPO dresse immédiatement le constat que le CIR est un instrument perfectible, avec une efficacité limitée en termes de développement de la R&D privée. Notamment, le CPO met en avant la complexité du dispositif.
D’après le CPO, certaines modalités du périmètre et de l’assiette du CIR apparaissent complexes et ne sont pas toujours efficaces.
Finalement, le rapport met en avant des résultats nuancés du CIR, l’occasion pour eux de plaider pour « une réflexion sur la place qu’il occupe dans la politique française de soutien à l’innovation. »
En toute logique, et partant de ce constat, le CPO émet donc des propositions d’évolution du CIR.
La première piste est de recentrer le CIR sur les PME et ETI à travers 3 options, l’objectif étant de concentrer l’effort fiscal là où les évaluations semblent indiquer que le CIR soit le plus efficace.

La deuxième piste évoquée était de rationaliser les éléments considérés comme les moins efficients à savoir :
- la suppression du doublement de l’assiette pour les jeunes docteurs ;
- l’exclusion des dépenses de veille technologique ;
- la gestion des brevets et normalisation ;
- la suppression des dépenses de fonctionnement ;
- la suppression du crédit d’impôt collection.
Si le CPO chiffre l’impact budgétaire de cette réforme, il souligne lui-même dans ce rapport le potentiel déséquilibre qu’une telle suppression pourrait avoir notamment sur l’embauche des jeunes docteurs. F.initiatives avait d’ailleurs dans le cadre de la Présidentielle, rédigée une lettre ouverte aux candidats, son MANIFESTE DES JEUNES DOCTEURS à l’appui[4].

La troisième piste envisagée est celle d’un verdissement du CIR, avec une incitation aux dépenses de recherche dans le domaine de l’environnement. Rappelons que ce rapport pré existait aux travaux relatifs à la loi Industrie Verte. Par ailleurs, cette piste était complexe dans sa mise en œuvre (quelle définition de la R&D verte ou encore la nécessaire adaptation des vérificateurs en contrôle fiscal.)
Dans la continuité de ce rapport, dès avril 2023, lors de la consultation publique dans le cadre de la loi Industrie verte, le doublement de CIR pour les jeunes docteurs ou la prise en compte des dépenses de veille technologique a effectivement été évoqué[5].
En juillet 2023, la Cour des comptes analyse à son tour 9 thématiques dans le but de renforcer la qualité de la dépense publique. Afin de mieux piloter et évaluer les dépenses fiscales[6], la Cour dénonce le CIR comme étant la niche fiscale la plus coûteuse de l’Etat et propose à cet effet de recentrer le dispositif sur les PME et donc d’exclure les grandes entreprises du bénéfice du CIR. « L’ensemble de ces constats mériterait d’être remis en perspective pour aboutir à brève échéance à un ciblage plus resserré du dispositif dans le cadre d’un réexamen de la politique de soutien à l’innovation et à la recherche. » La Cour encourageait donc à une modification rapide du dispositif.
Nous constatons donc une prise de position forte de la Cour, qui s’explique par le fait d’une part que le CIR est la dépense fiscale la plus coûteuse (7 Md€) et d’autre part, car il ressort de certains rapports une efficacité limitée du dispositif en regard de son coût.
Dans ce contexte, il était naturel de s’inquiéter sur l’avenir du dispositif lors du PLF 2024.
1.2 LES PROPOSITIONS D’AMENDEMENTS LORS PLF 2024
Sans surprise, plusieurs amendements ont été présentés. Nous avons déjà évoqué le souhait de supprimer le CIR, mais la plupart se sont clairement inspiré des études plus haut pour faire leurs propositions.
En ce sens, l’amendement n°I-CF2009[7] visant à restaurer le plafonnement du CIR à 16 millions d’euros ou encore l’amendement n°I-CF2010[8] qui proposait d’apprécier le seuil des 100 millions d’euros de dépenses de recherche éligible au taux de 30% de CIR au niveau du groupe et non au niveau de l’entreprise.
Un amendement n°I-CF162[9] proposait l’exclusion des entreprises du secteur financier du CIR tandis que l’amendement n° I-CF2338[10] suggérait l’instauration d’une progressivité supplémentaire dans le montant du CIR. Si certains amendements ont bel et bien été votés, avec l’intervention du gouvernement via l’article 49.3 de la Constitution, in fine, la seule modification relative au CIR concerne l’obligation pour le gouvernement de remettre au parlement un rapport sur les moyens à mettre en œuvre pour éviter que les dépenses éligibles au CIR soient effectuées en dehors de l’Union Européenne.
Le 5 juin 2024[11], le Sénat a d’ailleurs rejeté une proposition de loi visant à mettre en place « une imposition des sociétés plus juste et plus écologique » qui avait pour conséquence la suppression du taux de 5% pour les dépenses de recherche du CIR excédant 100 millions d’euro tout en créant un CIR vert. Ce projet de loi, déposé le 6 juillet 2023 par Rémi Féraud souhaitait une réforme de la fiscalité générale des sociétés, avec une rationalisation des dépenses fiscales. Le Sénat rappelle d’ailleurs que les dépenses de recherche relative à l’environnement sont déjà couvertes par le CIR pour lequel tous les domaines de recherche sont éligibles, raison pour laquelle le CIR vert ne semble pas nécessaire.
Il est donc indéniable que les députés et sénateurs ont souhaité apporter des modifications au CIR et que sans l’intervention du gouvernement, celui-ci aurait été modifié. Six mois après, les nombreuses interventions du gouvernement et du Président semblent confirmer cette tendance – en dépit d’un contexte actuel incertain compte tenu de la dissolution de l’Assemblée nationale. Rappelons d’ailleurs que dans le cadre d’une proposition de projet de loi[12] du député Benjamin Saint-huile, afin de réduire le déficit de l’Etat, l’article 5 prévoyait une modification du CIR, en créant une tranche intermédiaire de 15 %. À la suite de la décision du Président de la République du dimanche 10 juin 2024, ce projet de loi ne sera donc pas débattu.
2. LES PRISES DE POSITION RASSURANTES DE LA MAJORITE
2.1 DES PRISES DE POSITIONS RASSURANTES DU GOUVERNEMENT
Le gouvernement a conscience de l’importance de la R&D française pour rester compétitive et ne cesse les déclarations en ce sens, en citant directement ou indirectement les incitations fiscales comme le CIR.
En avril 2024, Sylvie Retailleau, ministre de l’Enseignement supérieur et de la Recherche de France, interlocutrice phare dans le cadre du CIR, s’est exprimée dans le cadre d’une réunion du Comité de la politique scientifique et technologique, via une déclaration commune avec l’OCDE pour que les états signataires continuent d’investir dans la recherche et promouvoir l’incitation pour encourager le secteur privé à investir dans la R&D[13].
Par ailleurs, le 7 mai 2024, Bruno Le Maire, ministre de l’Economie, des Finances et de l’Industrie s’est exprimé sur l’importance de la stabilité fiscale pour l’attractivité du pays[14]. L’occasion pour lui de s’exprimer directement sur le CIR :
« Même s’il est intéressant d’évaluer l’efficacité de certaines dépenses fiscales, y compris celle du CIR, et de vérifier qu’elles ne créent pas d’effets injustifiés. Il incombe aux parlementaires de mener ce travail, et, n’étant pas obtus, je pourrais entendre certaines de leurs propositions. »
Si Bruno Le Maire laisse la place au débat, force est de constater que son message est rassurant.
2.2 DES PRISES DE POSITION RASSURANTE DU PRESIDENT
Dans le cadre de la 4e édition de CHOOSE France[15], animé par le Président de la République, on retrouve au sein du dossier de presse des propos extrêmement positifs :

Le CIR ayant été expressément nommé par le Président, dans le cadre d’une fiscalité attractive.

Ainsi, si nous ne pouvons rien affirmer, nous pouvons en revanche confirmer l’intérêt fort du gouvernement pour ce dispositif, en dépit de tentatives de réformes de celui-ci.
[1] https://www.liberation.fr/idees-et-debats/tribunes/le-credit-dimpot-recherche-un-gouffre-financier-a-reformer-20211118_DK2GKPEESZCI3ENLHZIJ7XH2GI/
[2] https://www.assemblee-nationale.fr/dyn/16/amendements/1680A/CION_FIN/CF1555
[3] https://www.vie-publique.fr/files/rapport/pdf/283749.pdf
[4] https://www.f-initiatives.com/wp-content/uploads/2022/03/Manifeste-Jeunes-Docteurs-1.pdf
[5]https://agence-cohesion-territoires.gouv.fr/sites/default/files/2023-06/847_-_Dossier_de_presse_-__Industrie_verte_0.pdf
[6] https://www.ccomptes.fr/system/files/2023-07/20230707-note-thematique-Depenses-fiscales.pdf
[7] Projet de loi de finances pour 2024 (no 1680) Amendement n°I-CF2009 – Assemblée nationale (assemblee-nationale.fr)
[8] Projet de loi de finances pour 2024 (no 1680) Amendement n°I-CF2010 – Assemblée nationale (assemblee-nationale.fr)
[9] Projet de loi de finances pour 2024 (no 1680) Amendement n°I-CF162 – Assemblée nationale (assemblee-nationale.fr)
[10] Projet de loi de finances pour 2024 (no 1680) Amendement n°I-CF2338 – Assemblée nationale (assemblee-nationale.fr)
[11] https://www.senat.fr/rap/l23-673/l23-673_mono.html
[12] https://www.assemblee-nationale.fr/dyn/16/textes/l16b2541_proposition-loi
[13] https://www.enseignementsup-recherche.gouv.fr/fr/declaration-commune-de-l-ocde-et-du-mesr-sur-les-politiques-de-science-de-technologie-et-d-95895
[14] https://www.assemblee-nationale.fr/dyn/16/comptes-rendus/cion-eco/l16cion-eco2324065_compte-rendu.pdf
[15] https://www.tresor.economie.gouv.fr/Articles/e21012fa-faf8-4fad-93b8-691e130749df/files/a3e60b64-2522-490f-a9ef-93c4bf80e85e
III. Retour sur la loi simplification !
Le projet de loi simplification en deux mots : Au mois de novembre 2023, deux ministres ont lancé le chantier de ce projet de loi visant à simplifier et libérer l’économie française. Ce chantier a porté ses fruits et a permis de faire émerger des propositions concrètes présentées dans un projet de loi qui a été adopté en un temps record.[1]Dans un contexte où le Gouvernement met en avant la « stabilité fiscale » qui est « précieuse pour l’attractivité du pays », cette loi démontre également une volonté affichée du Gouvernement de se concentrer sur les entreprises.[2] |
Ce projet de loi a été examiné par le Senat le 5 juin et devait faire l’objet d’un vote le 11 juin 2024. Compte tenu de la dissolution de l’Assemblée nationale annoncée le 9 juin 2024 par le Président de la République, une conférence des présidents s’est tenue le 10 juin 2024 et a décidé de mettre un terme à la session parlementaire ce qui a pour conséquences de suspendre la procédure concernant le projet de loi Simplification jusqu’à nouvel ordre.[3]
Texte de référence : Projet de loi simplification de la vie économique
1. POURQUOI CE PROJET DE LOI
En novembre 2023, le Gouvernement a initié la préparation d’un plan pour la simplification des normes des entreprises. Deux ministres ont lancé le chantier de ce projet de loi visant à simplifier et libérer l’économie française et la première étape de ce chantier a été l’organisation des « Rencontres de la simplification » qui a réuni des fédérations de professionnels et des parlementaires, invités à formuler leurs propositions. De plus, une consultation publique a également été menée de novembre à décembre 2023. L’objectif était d’identifier et de faire émerger les mesures concrètes de simplification qui semblaient prioritaires.
Bruno LE MAIRE a qualifié cette consultation de « succès totalement inédit », démontrant « des attentes considérables » en la matière. Plus de 29 000 personnes y ont participé et 5 500 propositions ont été formulées. L’essentiel des propositions portait sur la simplification des démarches et des procédures, des normes et des réglementations, des services en ligne, des droits sociaux et du droit du travail.
Le 15 février 2024, le rapport parlementaire sur la simplification, piloté par cinq parlementaires a été rendu et il formule certaines recommandations à prendre en compte dans ce projet de loi afin d’atteindre les objectifs qu’il vise. Il ressort de ce rapport que l’excès de normes et leurs instabilités entravent l’activité et la compétitivité des entreprises françaises et le coût de cette complexité normative est colossal. Le rapport conclu à une nécessité de « renforcer les rapports de confiance entre les autorités publiques et les PME » qui pourrait passer entre autres par une dépénalisation des niveaux de sanctions en cas de manquement de bonne foi des dirigeants à des obligations déclaratives ou par le fait de faciliter drastiquement l’accès à la commande publique pour les PME.
Ce projet de loi nourrissait l’ambition de « simplifier au maximum la vie quotidienne des entrepreneurs, avec une attention particulière pour les plus petits » pour qui il est difficile d’« absorber le coût des normes et des règles ». De ce fait, le souhait du Gouvernement est que le dialogue et la consultation représentent les fondements de ce texte, estimant qu’il faut « écouter les Français pour avoir de bonnes idées ».
Ce chantier qui d’abord national devrait être porté également à l’échelle Européenne estime Bruno Le MAIRE appelant ainsi les partenaires européens à œuvrer à une « débureaucratisation de l’UE » afin que l’Europe ne soit pas « le continent de la norme mais plutôt celui de la croissance, de l’innovation et de l’emploi ». Pour ce faire, il conviendrait de retirer les règles inutiles et redondantes.
De plus, ce projet de loi se veut porteur d’un autre objectif qui est de renforcer les relations de confiance entre l’administration et les contribuables. En effet, la DGFIP a lancé en 2019 une action consistant en la réalisation d’un suivi statistique des rescrits délivrés dans le cadre de l’accompagnement fiscal personnalisé des PME. Ainsi, au titre de l’année 2022, elle dénombre 20 087 rescrits traités pour 20 553 rescrits reçus enregistrant ainsi une baisse de 2% par rapport à l’année 2021 où elle en avait traité 20 516 pour 20 892 rescrits reçus ce qui correspond également à une baisse de 1,6% s’agissant du nombre de demandes de rescrits reçus.
Toujours en 2019, la DGFIP s’était fixée comme objectif de répondre à au moins 80% des demandes de rescrits généraux dans un délai de 3 mois. Cet objectif a été porté à 84,5% pour l’année 2022. En 2021 on a enregistré à l’échelle nationale, 92,55% des demandes de rescrits traités dans un délai de 3 mois et en 2022 ce taux de traitement était de 94,14%. Ce suivi statistique a permis de constater une baisse globale des demandes de rescrits formulées. Cette baisse généralisée peut s’expliquer par une baisse du nombre de saisines reçues. En effet, pour le CIR on compte 166 saisines reçues en 2022 contre 229 en 2021 et pour CII on en compte 67 en 2022 contre 74 en 2021 et cette baisse des saisines reçues pourrait se justifier par l’accessibilité de l’information sur les rescrits. En effet, le suivi statistique révèle une forte affluence sur les rubriques relatives au rescrit fiscal sur le site internet et le BOFIP alimenté par l’administration centrale qui permet de donner sous un format librement accessible, de la visibilité aux contribuables sur les prises de position de l’administration susceptibles de les concerner. Nous constatons donc une baisse des demandes de rescrit de la part des contribuables qui sont encore frileux à se tourner vers l’administration. De plus, toujours dans l’optique d’une amélioration des relations entre l’administration fiscale et les contribuables, a été mis en place le partenariat fiscal à destination des entreprises de taille intermédiaire «ETI » et des grandes entreprises qui permet un accompagnement personnalisé d’une entreprise par l’administration fiscale. Ce dispositif permet d’établir une relation de travail permettant par exemple aux entreprises de confirmer les traitements fiscaux qu’elles réalisent.
Ainsi, le projet de loi prévoit des mesures pour lutter contre cette tendance à travers la simplification les démarches administratives notamment par la suppression de tous les formulaires Cerfa et la simplification des régimes d’autorisation et de déclaration. Cette loi pourrait se résumer à travers le principe « Dites-le nous une fois » : par conséquent cela permettrait d’adapter les échanges d’informations avec les administrations et faire évoluer les téléservices. Il prévoit également de mettre à disposition du public un recueil des rescrits fiscaux et non fiscaux de portée générale toujours dans l’optique de permettre au contribuable d’avoir une idée sur la position de l’administration sur leurs sujets fiscaux, ce qui devrait contribuer à accentuer la baisse des demandes de rescrits formulées déjà constatée.
2. PRESENTATION DU PROJET DE LOI SIMPLIFICATION DE LA VIE ECONOMIQUE
Ce projet de loi[4] porte de nombreux chantiers présentés ci-dessous.
- Chantier n°1 : simplifier radicalement les démarches administratives des entreprises
- Suppression de tous les CERFA d’ici 2030, et 80% d’ici 2026
- Allègement des démarches (moins de demandes d’autorisations obligatoires, moins de déclarations)
- Mise en place d’un accès unique aux démarches des entreprises dans un « espace entreprise » (d’ici 2030)
- Rationalisation des organismes de versement des aides publiques[5]
- Chantier n°2 : simplifier l’accès à la commande publique
- Facilitation de l’accès à la commande publique en ligne en généralisant le recours à la plateforme unique « PLACE »
- Simplification du processus de candidature aux marchés publics
- Unification et accélération du contentieux lié à la commande publique
- Amélioration des conditions d’exécution des marchés publics
- Amélioration des délais de paiement des acheteurs publics
- Chantier n°3 : accompagner pour moins sanctionner
- Développement des rescrits et mise à disposition du public[6]
- Développement des visites de conformité (DGCCRF) et de l’offre de conseil (URSSAF et Douane)
- DGFiP/URSSAF[7]: aller à terme vers un seul organisme de recouvrement en rapprochant les règles, les processus et la culture de la relation usager
- Mise en place d’une obligation de stage en entreprise pour les agents en charge du contrôle
- Chantier n°4 : limiter le risque de contentieux et les différends
- Généralisation de la médiation à tous les ministères
- Chantier n°5 : alléger les contraintes qui pèsent sur l’organisation des entreprises
- Simplification et dématérialisation de la gouvernance des entreprises
- Chantier n°6 : réduire et rationnaliser le stock de normes
- Evaluation régulière des normes adoptées, et rationalisation du droit en vigueur[8]
- Chantier n°7 : assurer une simplification durable
- Instauration des lois annuelles de simplification des normes applicables aux entreprises (en lien également avec le dispositif « France Expérimentation »)
- Instauration d’un « test PME »
- Limitation de la « comitologie »[9]
- Chantier n°8 : Simplifier la vie des TPE, indépendants, artisans
- Reconnaissance du statut de tiers déclarant
- Chantier n°9 : Simplifier la vie des commerçants
- Chantier n°10 : faciliter la réindustrialisation et les projets d’infrastructures
- Accélération de l’implantation de projets industriels
- Chantier n°11 : simplifier pour accélérer la transition énergétique et écologique de l’économie
- Chantier n°12 : simplifier pour innover
- Facilitation de l’innovation issue de la recherche, notamment en santé (utilisation des données de santé)
- Amélioration de la prise en compte de l’enjeu d’innovation dans la régulation de la donnée (CNIL)
- Accélération du versement du CIR
- Focus CIR
Le chantier n°12 : « simplifier pour innover » prévoit d’accélérer le versement du CIR. A cet effet, il prévoit que 2/3 des restitutions de CIR aient lieu sous 3 mois et que les délais de paiement soient divisés par 2 avant 2027. De plus, il est prévu que 2/3 des demandes d’agrément soient traitées dans un délai de moins de 6 mois à partir de 2025 avec pour objectif d’arriver à un agrément tacite au bout de 6 mois. Pour ce faire, l’ensemble de la chaine d’instruction et de paiement du CIR sera réinterrogée dans le cadre d’une mission diligentée à cet effet par le ministère de l’Enseignement supérieur et de la Recherche. Les recommandations de cette mission sont attendues d’ici à la fin de l’année.
392 amendements avaient été déposés sur le texte de ce projet de loi et finalement la commission spéciale du Sénat a procédé à un remaniement du texte en en adoptant 90.
Elle a entre autres adopté les mesures visant à supprimer l’évolution du bulletin de paie proposé par le Gouvernement et à réintégrer dans le texte la proposition de loi sur les « Test PME » précédemment adoptée par le Sénat.
[1] [Vidéo] Bercy présente le plan d’action simplification | economie.gouv.fr
[2] Déclaration de Bruno LE MAIRE https://www.assemblee-nationale.fr/dyn/opendata/CRCANR5L16S2024PO419610N065.html
[3] Dissolution de l’Assemblée nationale : que va-t-il se passer au Sénat ? – Public Sénat (publicsenat.fr)
[4] Simplification de la vie économique (senat.fr)
[5] Cela consistera à renforcer la place de la DGFiP dans l’instruction et le versement d’aides de masse aux entreprises et particuliers, et confier également à la DGFiP le versement des aides instruites par les opérateurs de l’État dans un souci de sécurisation.
[6] La pratique des rescrits sera développée, permettant de délivrer aux entreprises et aux fédérations professionnelles une interprétation du droit en vigueur opposables à l’administration, tandis qu’un recueil mettant à disposition du public des rescrits sera disponible dès 2024.
[7] Harmonisation des règles de gestion et de recouvrement des cotisations et impôts, ainsi que des règles assujettissement.
[8] Lancement de « revues de normes » dès 2025 (sous l’égide de Bercy) pour nourrir les lois annuelles de simplification, et lancement de « chantiers de simplification du droit existant » par le Conseil d’État (notamment pour le code du commerce, dans l’optique de le diviser par deux à horizon 2027).
[9] Suppression d’une vingtaine de comités dès 2024 (dont le CSNP, le comité régional de gestion des risques en forêt, le conseil stratégique de la recherche).
IV. Face à une demande disproportionnée ou entrainant une charge excessive, comment se positionner ?
Conseil d’État, 10ème – 9ème chambres réunies, 20/12/2023, 467161, association OUVRE BOITE
Cette décision concerne le domaine des relations publiques autrement dit les relations entre le public au sens large[1] et l’administration française.
Les faits :
L’association « ouvre-boîte » avait demandé au ministère de l’Intérieur de publier plusieurs documents budgétaires et comptables des collectivités territoriales et de leurs groupements. Cette communication a été refusée implicitement par le ministère de l’Intérieur.
L’association avait saisi le Tribunal Administratif qui avait ensuite annulé la décision du ministère de l’Intérieur en lui ordonnant de publier en ligne, dans un délai de douze mois, les documents budgétaires sollicités : la demande portait sur plusieurs centaines de milliers de fichiers devant faire l’objet d’une anonymisation manuelle.
Le ministère de l’Intérieur s’est pourvu en cassation devant le CE et a demandé l’annulation du jugement ainsi que le rejet de la demande de l’association.
Exposé des moyens :
- L’association faisait valoir qu’elle avait proposé au Ministère d’utiliser un logiciel libre qui lui aurait permis d’anonymiser les documents et de supprimer l’ensemble des champs susceptibles de contenir des données à caractère personnel
- Le Ministère soutenait que la demande avait un caractère abusif puisqu’elle faisait peser sur l’Administration une charge disproportionnée au regard des moyens dont elle disposait.
Exposé de la solution :
Le Conseil d’Etat (CE) précise que lorsque l’Administration fait valoir que la communication des documents sollicités ferait peser sur elle une charge excessive au regard des moyens dont elle dispose, notamment en raison des opérations matérielles qu’elle impliquerait, il revient au juge de déterminer s’il y a effectivement une charge excessive.
Il relève que le code des relations entre le public et l’Administration[2] n’oblige pas aux services du ministère de développer un outil informatique pour satisfaire la demande dont il est saisi, alors même qu’il disposerait des ressources financières et humaines permettant de réaliser ce développement.
Le CE donne raison au ministère de l’Intérieur et reconnait le caractère excessif de la demande de l’association.
Analyse FI GROUP :
- Portée de l’arrêt dans le cadre de la fiscalité de l’innovation :
Force est de constater que cette décision ne relève pas du domaine fiscal et encore moins de celui de la fiscalité de l’innovation.
Néanmoins, notons d’une part, que l’Administration fait des efforts constants afin de créer des bonnes relations avec le contribuable en droit fiscal : à titre d’exemple, la loi ESSOC qui consacre un principe essentiel de confiance dans les relations entre les usagers et l’Administration est appliquée par l’Administration fiscale[3] et d’autre part, cette décision est intéressante au regard du raisonnement tenu par les juges pour caractériser le caractère abusif et excessif de la demande de l’association.
En effet, en raisonnant par analogie, dans l’hypothèse où le contribuable (administré) serait de bonne foi et aurait fourni à l’Administration fiscale des justificatifs, le contribuable pourrait fonder son argumentation de défense sur le caractère excessif ou abusif de la demande de l’Administration fiscale.
Concrètement, nous pensons que cela peut être le cas par exemple dans l’hypothèse où le contribuable aurait fourni des suivis-temps et que l’Administration exigerait d’autres justificatifs qui impliqueraient des opérations ou interventions matérielles et manuelles exagérées.
- Concrètement quel impact ?
Dans le cadre de notre veille “terrain”, nous constatons une position stricte de l’Administration concernant l’interprétation et l’application de l’article L 102 B du LPF[4] .
En effet, conformément à l’article précité, nous avons eu un cas où l’Administration a sollicité du contribuable la communication de différents justificatifs n’ayant pas forcément vocation par nature à être identifié par le contribuable comme un justificatif au sens de cet article et encore moins dans le cadre du CIR.
A titre d’exemple concret, concernant les justificatifs des temps passés par des personnels R&D dans le cadre d’un projet de recherche réalisé en 2023, l’Administration peut être amenée à demander une copie des extractions quotidiennes des agenda électroniques des personnels précités.
Nos préconisations dans cette situation seraient d’adopter une « attitude de prudence » tout le long de la réalisation des projets de recherche en conservant TOUS les éléments probants directs et/ou indirects pouvant déterminer et justifier le bien-fondé de la créance CIR[5] sollicitée.
Ensuite, si à l’issue des projets, les différents éléments probants conservés ne suffisent pas à convaincre l’Administration alors qu’ils paraissent être objectivement exhaustifs – il se peut que la demande de l’Administration puisse être qualifiée d’excessive si elle répond aux critères énoncés dans la présente jurisprudence OUVRE BOITE.
En présence d’une telle demande de l’Administration fiscale, il conviendrait naturellement de s’assurer qu’il s’agit réellement d’une demande excessive de l’Administration et en second lieu, de garder en tête qu’en matière d’administration de la preuve et notamment sur celle concernant les suivis-temps des personnels de recherche, la charge de la preuve est objective[6].
Rappelons que le Conseil d’Etat a jugé dans une décision de 2007[7] que la production, par une entreprise d’une facture régulière a pour effet de renverser la charge de la preuve au détriment de l’Administration à laquelle il appartient d’apporter des éléments de nature à contester le caractère déductible de la charge en cause.
Dans la présente décision du 20/12/2023 n°467161, OUVRE BOITE, le CE rappelle l’obligation d’avoir des demandes « proportionnées ». Quand bien même cette décision ne relève pas du domaine fiscal, nous estimons que relevant des relations publiques, elle a bien un impact dans le cadre des relations entre le contribuable et l’Administration. Ainsi, par analogie, il nous semble possible de reprocher à l’Administration le caractère excessif et abusif de certaines demandes.
[1] Administrés ou entreprises
[2] Au sens de l’article L. 311-9 du code des relations entre le public et l’administration
[3] Loi ESSOC : droit à l’erreur | impots.gouv.fr
[4] Article L 102 B du LPF : prévoit que les livres, registres, documents ou pièces sur lesquels peuvent s’exercer les droits de communication, d’enquête et de contrôle de l’Administration doivent être conservés pendant un délai de 6 ans à compter de la date de la dernière opération mentionnée sur ces documents ou de la date d’établissement.
[5] CIR, CICO, CIC et/ou CIMA
[6] En ce sens une décision du CE du 21/05/2007, 284719 par laquelle le CE illustre la notion de charge de la preuve objective au profit du contribuable en précisant dans cette affaire que le contribuable n’est pas censé détenir d’autres éléments que la facture émise par son créancier : « la seule circonstance que l’entreprise n’aurait pas suffisamment répondu à ces demandes d’explication ne saurait suffire à fonder en droit la réintégration de la dépense litigieuse, l’administration devant alors fournir devant le juge tous éléments de nature à étayer sa contestation du caractère déductible de la dépense ; que le juge de l’impôt doit apprécier la valeur des explications qui lui sont respectivement fournies par le contribuable et par l’administration »
[7] Décision du CE du 21/05/2007, 284719 – voir note de bas de page (6) ci-dessus